Thèse préparée sous la direction du professeur Eric PASMANT (encadrant) et du Docteur Nadim HAMZAOUI (co-encadrant) équipe Génomique et épigénétique des tumeurs rares
Résumé :
Les variants pathogènes du domaine exonucléase de l’ADN polymérase epsilon (POLE) représentent un enjeu clinique majeur. Au niveau constitutionnel, ils prédisposent au développement de cancers, notamment colorectaux. Au niveau somatique, ils confèrent aux tumeurs un profil ultramuté caractérisé par une charge mutationnelle extrêmement élevée, signature moléculaire associée à une sensibilité accrue aux inhibiteurs de points de contrôle immunitaire. Néanmoins, l’interprétation de nombreux variants faux-sens demeure difficile, ce qui limite leur utilisation en oncogénétique et en oncologie de précision.
Pour répondre à ces défis, nous avons combiné deux approches complémentaires. D’une part, un test fonctionnel à haut débit basé sur une mutagenèse à saturation du domaine exonucléase de Pol epsilon de Saccharomyces cerevisiae a permis d’évaluer systématiquement l’impact des substitutions d’acides aminés. Après validation par des variants connus délétères, cette approche a généré la première carte fonctionnelle exhaustive du domaine. Elle révèle que les variants pathogènes se concentrent dans des régions structurales critiques : (i) la poche catalytique, (ii) une boucle modulant le positionnement de l’extrémité 3’ du brin naissant et (iii) une structure hélice-boucle-hélice séparant les domaines exonucléase et polymérase. Hors de ces régions, la majorité des résidus tolèrent les substitutions. La confrontation avec des données cliniques, tant constitutionnelles que tumorales, confirme la pertinence du modèle, tout en soulignant les limites des prédicteurs bioinformatiques face à des données expérimentales directes.
D’autre part, nous avons mené une analyse protéogénomique intégrée sur une cohorte de tumeurs comprenant des cas mutés POLE, MSI et avec variant constitutionnel de POLE. Cette approche combinant séquençage d’exome et de transcriptome, analyse protéomique et prédiction bioinformatique de néoantigènes a mis en évidence plusieurs points : les tumeurs mutées POLE présentaient un excès de variants faux-sens par rapport aux tumeurs MSI, ainsi qu’une charge néoantigénique supérieure. L’intégration du typage HLA démontrait l’importance du contexte immunogénétique de l’hôte pour la présentation des néoantigènes. Enfin, l’approche protéomique confirmait l’expression de certains néopeptides issus de variants tumoraux, validant leur potentiel immunogénique et confortant le modèle reliant hypermutabilité et réponse clinique à l’immunothérapie. Contrairement aux analyses exome-transcriptome seules, souvent limitées par l’absence d’expression détectable de certains variants, l’apport de la protéomique permettait d’élever le niveau de confiance dans la prédiction des néoantigènes et de révéler des néoantigènes non détectés.
Ainsi, la combinaison d’un atlas fonctionnel expérimental des variants de POLE et d’une caractérisation protéogénomique intégrée des tumeurs permet d’éclairer à la fois les mécanismes structure-fonction et les conséquences immunologiques de ces variants. Cette double approche constitue une ressource précieuse pour l’annotation clinique, affine la prédiction de la réponse aux immunothérapies et ouvre la voie à des stratégies thérapeutiques personnalisées, incluant le développement de vaccins ou de thérapies cellulaires ciblant des néoantigènes spécifiques.
Mots-clés : ADN polymérase epsilon ; exonucléase ; test fonctionnel à haut débit ; néoantigènes ; protéogénomique ; cartographie fonctionnelle