Stimulation du cortisol par l’alimentation : tout dépend d’un gène !

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L’équipe de Jérôme Bertherat, en collaboration avec des équipes du réseau français COMETE (COrticoMEdulloTumeursEndocrine), des universités de Munich et Sao Paulo et du NIH (Bethesda), a décrit la découverte de la cause génétique du syndrome de Cushing dépendant de l’alimentation dans un article paru dans Genetics in Medicine.

L’hyperplasie macronodulaire bilatérale des surrénales (HMBS) correspond au développement de multiples nodules tumoraux dans le cortex des deux glandes surrénales, conduisant à une hypersécrétion chronique de cortisol (Syndrome de Cushing). La classification moléculaire par génomique intégrée de ces tumeurs a identifié un groupe homogène dans lequel la sécrétion de cortisol est déclenchée par la prise alimentaire. La cause génétique de cette maladie a été identifiée : ces patients présentent une mutation germinale inactivatrice du gène KDM1A.

Figure 1 : Classification moléculaire de l’hyperplasie macronodulaire bilatérale des surrénales (HMBS)

L’équipe de l’Institut Cochin avait identifié en 2013 le premier gène responsable de l’hyperplasie macronodulaire bilatérale des surrénales (HMBS), le gène suppresseur de tumeur ARMC5, responsable de 25% des cas d’HMBS.  Ceci démontrait le caractère génétique de cette cause rare de syndrome de Cushing. Par une approche de génomique intégrée appliquée à des tumeurs surrénaliennes de patients opérés pour une HMBS, l’équipe a établi la première classification moléculaire de ces tumeurs, révélant trois groupes distincts : un premier groupe est représenté par les tumeurs de patients présentant une mutation du gène ARMC5. Un deuxième groupe comporte les tumeurs de patients présentant un syndrome de Cushing dépendant de l’alimentation. Dans cette situation, la progression du bol alimentaire dans le tractus gastro-intestinal stimule la sécrétion de GIP, qui se fixe sur son récepteur exprimé de façon aberrante par les cellules tumorales cortico-surrénaliennes, aboutissant à une sécrétion de cortisol consécutive à la prise alimentaire. Le troisième groupe moléculaire est composé de tumeurs de patients présentant des HMBS plus hétérogènes sur le plan phénotypique. Cette classification corrèle aussi avec des caractéristiques histologiques spécifiques.

L’étude du transcriptome montre l’apparition de l’expression du récepteur du GIP dans le deuxième groupe moléculaire. C’est la présence ectopique de ce récepteur dans les cellules tumorales cortico-surrénaliennes qui est responsable du syndrome de Cushing dépendant de l’alimentation. Les anomalies chromosomiques sont peu nombreuses sur la cartographie établie par puce SNP dans ces tumeurs bénignes. Cependant les tumeurs du premier groupe (ARMC5) présentent de façon récurrente des délétions en 16p où se trouve le locus d’ARMC5.  De façon analogue, les tumeurs du deuxième groupe présentent constamment une délétion en 1p, qui comprend le locus du gène KDM1A. D’après les données du transcriptome, il s’agit du gène le plus sous-exprimé dans ce deuxième groupe comparativement aux deux autres groupes. Le séquençage de l’exome a mis en évidence des mutations inactivatrices de KDM1A dans l’ADN leucocytaire de plus de 90% des patients présentant un syndrome de Cushing dépendant de l’alimentation.

Dans les tumeurs surrénaliennes, la délétion du bras court du chromosome 1 portant l’allèle sauvage du gène KDM1A conduit à son inactivation bi-allélique, caractéristique d’un gène suppresseur de tumeur, pouvant ainsi expliquer le développement de l’HBMS. KDM1A est une lysine-déméthylase et son inactivation est connue pour moduler la différenciation cellulaire. La perte totale d’expression de KDM1A, visualisée en transcriptome et en immunohistochimie dans les tumeurs des patients porteurs de mutation germinale de KDM1A, doit conduire à l’expression ectopique du récepteur du GIP.

Figure 2 : Inactivation bi-allélique de KDM1A dans le syndrome de Cushing dépendant de l’alimentation.

Outre les perspectives physiopathologiques sur l’HBMS ouvertes par l’identification de KDM1A, ceci offre une possibilité supplémentaire dans le dépistage génétique des patients porteurs d’une HMBS : dorénavant, le génotypage de KDM1A sera réalisé en routine, comme celui d’ARMC5, dans le laboratoire de génétique moléculaire de l’hôpital Cochin (Pr Eric Pasmant).

En savoir plus

Vaczlavik A, Bouys L, Violon F, Giannone G, Jouinot A, Armignacco R, Cavalcante IP, Berthon A, Letouzé E, Vaduva P, Barat M, Bonnet F, Perlemoine K, Ribes C, Sibony M, North MO, Espiard S, Emy P, Haissaguerre M, Tauveron I, Guignat L, Groussin L, Dousset B, Reincke M, Fragoso MC, Stratakis CA, Pasmant E, Libé R, Assié G, Ragazzon B, Bertherat J. KDM1A inactivation causes hereditary food-dependent Cushing syndrome. Genet Med. 2021 Nov 16:S1098-3600(21)05346-6. doi: 10.1016/j.gim.2021.09.018. Epub ahead of print.

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Jérôme Bertherat

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Figure 1 : Classification moléculaire de l’hyperplasie macronodulaire bilatérale des surrénales (HMBS)