L’hyperactivation de la réparation de l'ADN par l'oncogène AKT1/PKB génère de l'instabilité génétique

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Vert : Centromeres, Bleu: DAPI

Les défauts de réponses aux dommages à l'ADN induisent de l'instabilité génétique. Une étude publiée dans Nucleic Acids Res. montre qu'en miroir leur hyperactivation induit aussi des réarrangements génomiques.  La combinaison d'approches globales ou à des loci précis démontre un nouveau rôle pour l'oncogène AKT1/PKB: il induit des réarrangements génétiques par la sur-stimulation de la réparation de l'ADN via la phosphorylation de MRE11, une protéine clé dans la signalisation des dommages.

Un nouveau rôle pour l'oncoprotéine AKT1 via la phosphorylation de MRE11

L'instabilité génétique est un risque majeur qui entraîne le développement de cancers, des anomalies congénitales, des troubles neurologiques, un vieillissement prématuré et la mort. Les cassures double-brin de l'ADN (CDB) sont une source importante d'instabilité génétique, et en particulier de réarrangements génomiques. Les CDB sont d'ailleurs utilisées dans différents processus physiologiques qui visent à générer de la diversité génétique. Par conséquent, le contrôle de la réparation des CDB est un enjeu essentiel: elle doit maintenir la stabilité du génome, en permettant la diversité génétique, mais en évitant l'instabilité génétique.
Face aux stress génotoxiques, la réponse aux dommages de l'ADN (DDR: DNA Damage Response) maintient la stabilité du génome en coordonnant un réseau de voies métaboliques, comprenant la signalisation et la réparation des dommages de l'ADN. Il est à noter que des défaillances dans la DDR entraînent une instabilité génétique, un vieillissement prématuré et une prédisposition au cancer. En particulier, le complexe MRN (MRE11-RAD50-NBS1) est recruté très tôt sur les sites de CDB et est essentiel pour l'activation complète de la signalisation ATM (Ataxia telangectasia mutated) qui joue un rôle central dans la signalisation et la réparation des CDB. 
La protéine kinase B (PKB, également appelée AKT1) est une kinase oncogénique, qui est l'un des oncogènes les plus fréquemment dérégulés dans divers cancers. Notamment, AKT1/PKB est régulé à la hausse dans un pourcentage élevé de cancers sporadiques du sein et de l'ovaire. Comme la plupart des mutations prédisposant aux cancers héréditaires du sein ou de l'ovaire affectent les gènes contrôlant la DDR, ceci soulève la question de savoir si AKT1/PKB a un impact direct sur l'instabilité génomique.

Dans cette étude, les chercheurs montrent que l'augmentation d'AKT1/PKB induit de l'instabilité génétique et des réarrangements chromosomiques, ceci dans divers types de lignées cellulaires, cancéreuses ou non, avec différents tests biologiques et par l'analyse de bases de données génomiques sur le cancer du sein dans cBioPortal. 
Les chercheurs révèlent les mécanismes moléculaires par lesquels AKT1/PKB favorise activement l'instabilité génétique : AKT1/PKB phosphoryle MRE11 sur trois sites de la protéine ce qui favorise l'assemblage du complexe MRE11-RAD50-NBS1 (MRN), renforçant la signalisation des CDB par ATM et la réparation par religature des extrémités d'ADN (EJ: end-joining). Cette hyperstimulation de la signalisation et de la réparation conduit in fine à des réarrangements génomiques intra- et interchromosomiques (translocations, délétions et inversions). Ces résultats révèlent un nouveau rôle pour AKT1/PKB dans la signalisation et la réparation des CDB, médiées par la phosphorylation de MRE11 mais dont l’hyperactivation conduit à d l’instabilité génétique.
Plusieurs cas de phosphorylations de MRE11 ont été décrits, par différentes kinases et sur différents résidus. Mais jusqu'à présent, toutes ces phosphorylations de MRE11 ont été montrées comme réduisant l'activité de MRE11 en diminuant son affinité pour l'ADN et le recrutement d'ATM sur les sites endommagés. Il a été proposé que ces phosphorylations contrôleraient le(s) mécanisme(s) de désactivation du complexe MRN sur l'ADN et la signalisation des CDB. Ici, les chercheurs identifient la première situation dans laquelle la phosphorylation de MRE11 (ici par AKT1/PKB) n'antagonise pas l'axe MRE11/ATM mais, au contraire, stimule son activité dans la signalisation et la réparation des CDB, au prix cependant d'une instabilité génétique accrue. 

Ces observations sont cohérentes avec le niveau élevé d'instabilité génomique observé dans les tumeurs caractérisées par la surexpression de AKT1/PKB dans les bases de données du génome du cancer (cBioportal) et proposent une explication moléculaire à la résistance aux radiations observée dans les tumeurs AKT1/PKB-positives. En effet, la réparation des CDB par EJ est une arme à double tranchant. D'une part, elle est essentielle au maintien de l'intégrité du génome et à la résistance aux radiations, mais d'autre part, elle peut générer une instabilité génétique par EJ de CDB distantes, conduisant à des translocations, des délétions, des inversions et des fusions chromosomiques. Nous montrons ici que l'activation de l'EJ par AKT1/PKB induit des réarrangements génomiques et des fusions chromosomiques. S'il est connu depuis longtemps que les défauts du réseau DDR entraînent une instabilité génomique, les présentes données montrent que, dans un effet miroir, que la stimulation de la signalisation et de la réparation des CDB via l'hyperstimulation de l'axe ATM (ici via la kinase AKT1/PKB) favorise également l'instabilité génomique. Ceci souligne l'importance d'un contrôle précis de ces subtils équilibres.
Ces résultats identifient une nouvelle cible pharmacologique potentielle (MRE11) pour optimiser les stratégies thérapeutiques pour les tumeurs AKT1/PKB-positives, les sensibilisant potentiellement aux thérapies basées sur des traitements génotoxiques, y compris la radiothérapie.

En conclusion, ces données révèlent un nouveau mécanisme générant l'instabilité du génome : la stimulation de l'EJ qui contribue à la génération de réarrangements chromosomiques. De plus, elles positionnent AKT1/PKB comme un régulateur apical clé de la réponse aux CDB de l'ADN. Plus généralement, ces données montrent que, à l'instar des défauts de la DDR, l'augmentation de la signalisation et de la réparation des CDB (ici par AKT1/PKB) favorise également l'instabilité génomique, soulignant l'importance d'un contrôle précis des équilibres de la DDR.

 

Référence

Genome rearrangements induced by the stimulation of end-joining of DNA double strand breaks through multiple phosphorylation of MRE11 by the kinase PKB/AKT1. 
Guirouilh-Barbat J, Boueya IL, Gelot C, Pennarun G, Granotier-Beckers C, Dardillac E, Yu W, Lescale C, Rass E, Ariste O, Siaud N, Renouf B, Millet A, Puget N, Bertrand P, de la Grange P, Brunet E, Deriano L, Lopez BS. Nucleic Acids Res. 2025 Jun 6;53(11):gkaf468. doi: 10.1093/nar/gkaf468. PMID: 40479710 

Figure 

AKT1/PKB phosphoryle MRE11 (3 résidus) ce qui favorise l'assemblage du complexe MRN et son transport dans le noyau (grâce à la séquence de localisation nucléaire portée par NBS1). Ce complexe active la voie ATM ce qui stimule la signalisation et la réparation des dommages à l'ADN, en particulier les cassures double-brin (CDB). La ligature de CDB éloignées entraine inéluctablement des réarrangements génomiques tels que des translocations, inversions, grandes délétions et des fusions de chromosomes.

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Bernard Lopez

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