Le carboxyméthylcellulose (CMC) est une molécule synthétique qui se classe dans les additifs alimentaires appelés émulsifiants, qui sont ajoutés à de nombreux aliments transformés pour en améliorer la texture et prolonger leurs durées de conservation. Bien que le CMC n’ait pas fait l’objet de tests approfondis chez l’homme, elle est de plus en plus utilisée dans les aliments transformés depuis les années 1960. Il a longtemps été admis que le CMC pouvait être ingéré sans danger, car cette molécule est éliminée dans les selles sans être absorbée par l’intestin. Cependant, la récente prise de conscience des bienfaits des bactéries qui vivent normalement dans le tractus gastro-intestinal, et qui interagissent donc avec les additifs non absorbés, a conduit les scientifiques à remettre en question ce postulat. Des études menées sur des souris ont révélé que le CMC, ainsi que certains autres agents émulsifiants, altèrent la composition du microbiote intestinal, entrainant l’aggravation de nombreuses pathologies inflammatoires chroniques, telles que la colite, le syndrome métabolique et le cancer du côlon. Cependant, l’application de ces résultats à l'homme n'avait jusqu’alors pas été étudiée.
L'équipe a réalisé une étude randomisée de volontaires sains dont l’alimentation était entièrement contrôlée. Les participants, logés sur le site de l'étude, ont donc consommé un régime alimentaire sans aucun additif, ou un régime identique mais supplémenté par du CMC. Comme les pathologies induites par la consommation de CMC chez la souris mettent des années à se manifester chez l'homme, les chercheurs se sont ici concentrés sur l’environnement intestinal, et notamment la composition en bactérie (microbiote) et en petites molécules (métabolome). Il a ainsi pu être observé que la consommation de CMC modifie la composition des bactéries présentes dans l’intestin, et ceci en réduisant certaines espèces connues pour jouer un rôle bénéfique en santé humaine. De plus, les échantillons fécaux des participants traités au CMC présentaient une très forte diminution de nombreux métabolites bénéfiques et censés maintenir un côlon en bonne santé.
Des coloscopies ont également été réalisées au début et à la fin de l'étude, ce qui a permis de montrer qu’un sous-groupe de sujets consommant du CMC présentait un fort rapprochement des bactéries intestinales au niveau de la surface de l’intestin, une caractéristique observée lors des maladies inflammatoires de l'intestin et du diabète de type 2. Ainsi, bien que la consommation de CMC n'ait entraîné aucune maladie dans cette étude relativement courte de deux semaines, ces résultats confirment les conclusions des études animales selon lesquelles la consommation à long terme de cet additif pourrait favoriser les maladies inflammatoires chroniques et des dérégulations métaboliques chez l’homme, soulignant ainsi la nécessité d’études complémentaires sur cette classe d’additif alimentaire.
Ces résultats réfutent l'argument du «ça ne fait que passer » utilisé pour justifier l'absence d'études cliniques sur les additifs», déclare le Dr Andrew Gewirtz, de l'Université d'État de Géorgie, l'un des principaux auteurs de l'article. Au-delà de la nécessité de poursuivre l'étude sur le carboxyméthylcellulose, l'étude «fournit une approche générale pour tester scrupuleusement les additifs alimentaires chez l'homme», déclare le Dr James Lewis, coauteur de l'Université de Pennsylvanie où les sujets ont été recrutés. Le Dr Benoit Chassaing, directeur de recherche INSERM, indique que de telles études doivent être poursuivies avec un nombre de sujet suffisamment important pour prendre en compte l'hétérogénéité élevée entre les sujets. « En effet, notre étude suggère que les réponses suite à une exposition au CMC - et probablement à d'autres additifs alimentaires - sont hautement individualisées, et nous sommes en train de concevoir diverses approches pour identifier – et même prédire – quels individus sont sensibles à tel ou tel additif alimentaire».
Cette étude a été financée par le National Institutes of Health, l’European Research Council, la Max Planck Society, l'INSERM et la Kenneth Rainin Foundation.