CGRP, le neuropeptide dérivé du nerf périphérique, inhibe l'infection des cellules muqueuses de Langerhans par le virus de l'herpès simplex

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Cellules de Langerhans dans l'épiderme du prépuce interne

Le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP) est un neuropeptide de 37 acides aminés sécrété par les neurones périphériques de la douleur, lesquels innervent tous les épithéliums muqueux. Le CGRP est un puissant vasodilatateur et possède des fonctions immunomodulatrices. Des études antérieures menées par Yonatan GANOR dans l’équipe Entrée muqueuse du VIH et Immunité muqueuse, dirigée par Morgane BOMSEL, ont mis à jour une nouvelle activité du CGRP : une activité antivirale. En effet, l'équipe a montré que le CGRP inhibe fortement la transmission génitale du virus de l'immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1) au niveau des cellules de Langerhans (LCs) premières cellules cibles du virus dans les tissus muqueux.
Dans un article récent publié dans Frontiers in Immunology, les auteurs décrivent plus en détail les mécanismes sous-jacents à l’inhibition du VIH-1 au niveau des LCs. Dans la présente étude publiée dans Mucosal Immunology, les auteurs  montrent que le CGRP inhibe également l'infection des LCs par le virus de l'herpès simplex (HSV), un autre virus sexuellement transmissible qui cible les muqueuses génitales. Les mécanismes inhibiteurs du VIH-1 et du HSV sont différents. Les formulations cliniques à base de CGRP représentent donc une nouvelle approche neuro-immune dans la prévention des infections par le VIH-1 et le HSV. Le CGRP permettrait de cibler la première cible cellulaire immunitaire commune à ces virus lors de la transmission sexuelle plutôt que de cibler leurs cycles réplicatifs respectifs. Comme parmi les infections sexuellement transmissibles, le HSV-2 est le principal contributeur à l'augmentation de l'acquisition du VIH-1, de telles formulations pourraient être avantageuses pour la double prévention sexuelle du HSV et du VIH-1 lors d’une co-infection.

Le virus de l'herpès simplex (HSV) est responsable d’une infection sexuellement transmissible (IST) très répandue, le HSV-1 et le HSV-2 induisant tous les deux l'herpès génital. Le HSV-2 est également le principal contributeur d'IST à l'acquisition accrue du virus de l'immunodéficience humaine de type 1 (VIH-1), avec une relation synergique entre le HSV-2 et le VIH-1 lors de la co-infection. Au cours de la transmission sexuelle, le HSV infecte les cellules épithéliales dans un cycle de vie lytique et établit ensuite une latence à vie dans les neurones sensoriels périphériques de la douleur appelés nocicepteurs qui innervent tous les épithéliums muqueux. Les cellules de Langerhans (LCs), cellules présentatrices d'antigène résidant dans les épithéliums muqueux stratifiés tels que le vagin et la face interne du  prépuce, sont parmi les premiers types cellulaires infectés à la fois par le HSV et le VIH-1. En effet, l'infection productive des LCs par le HSV conduit à leur apoptose. Des études antérieures, y compris celles de l'équipe, ont également démontré que l'infection initiale des LCs par le VIH-1 est rapidement suivie du transfert de virions infectieux intacts de VIH-1 des LCs aux lymphocytes T CD4+, la cible principale du VIH-1.

Comme les LCs sont des cibles cellulaires initiales des HSV et VIH-1, l'identification de nouveaux facteurs antiviraux agissant sur les LCs elles-mêmes, plutôt que sur les cycles réplicatifs distincts de chaque virus, pourrait faciliter le développement de stratégies alternatives de prévention de la co-infection. Dans ce contexte, l'équipe a précédemment soulevé l'hypothèse que les interactions neuro-immunes au niveau muqueux, notamment les muqueuses génitales, pourraient être exploitées à cette fin. En effet, la protection contre les agents pathogènes envahissant les muqueuses est orchestrée par une interaction neuro-immune locale entre les neuropeptides dérivés des nocicepteurs, neurones sensibles à la douleur, et les cellules immunitaires résidentes des muqueuses.

Dans des études pionnières, l'équipe a découvert que le peptide lié au gène de la calcitonine (CGRP), un neuropeptide de 37 acides aminés sécrété par les nocicepteurs exerce des fonctions anti virales en plus et indépendamment de sa puissante activité vasodilatatrice bien connue. En effet, le CGRP module une multitude de mécanismes cellulaires et moléculaires dans les LCs ; ceux-ci coopèrent pour inhiber fortement le transfert du VIH-1 des LC aux lymphocytes T CD4+. Dans une étude récente publiée dans Frontiers in Immunology 1, les auteurs ont décrit ces mécanismes au niveau moléculaire plus en détail et ont montré que cette inhibition virale requiert l'activation du récepteur du CGRP par le CGRP entier ou par son analogue peptidique stable SAX, mais pas par des fragments peptidiques du CGRP. De plus l’activité antivirale du CGRP implique une augmentation du facteur de transcription STAT4 et la reconnaissance de la langerine, une lectine de type C qui agit comme récepteur du VIH-1 sur les LCs. Enfin, par des études in vivo chez les souris humanisées, cette étude fournit également une preuve de concept pour l'utilisation clinique du CGRP afin de limiter la transmission génitale du VIH-1.​​​​​​

Dans la présente étude publiée dans Mucosal Immunology 2, les auteurs rapportent que le CGRP inhibe également l'infection des LC par le HSV. En effet, le CGRP inhibe l'infection par le HSV-1 et le HSV-2 des LCs dérivés de monocytes (MDLC) et des LCs  langerinhigh, mais pas langerinlow du tissu de la face interne du prépuce. L’infection par HSV-1 est médiée par le sulfate d'héparane sulfaté 3-O (3-OS HS), récepteur d'entrée spécifique du HSV-1, et dépend du pH. Le CGRP diminue l'expression de surface du 3-OS HS et abroge la dépendance au pH. Pour le HSV-2, l'infection débute par l’endocytose médiée par la langerine d'une manière indépendante du pH et le CGRP augmente l'expression en surface d'oligomères doubles trimères atypiques et potentiellement défectueux de langerine.

mécanismes d'infection par le HSV-1 et le HSV-2 dans les LC humaines et leur inhibition par le CGRP

Légende de la figure : Mécanismes d'infection par le HSV-1 et le HSV-2 dans les LC humaines et leur inhibition par le CGRP. (1) Les LCs du prépuce interne humain et les MDLCs expriment les récepteurs d'entrée du HSV-1/2 et la langerine ; (2) HSV-1 utilise 3-OS HS pour entrer dans les MDLCs via un mécanisme d'endocytose dépendant du pH, ainsi que la langerine dans les LCs langerinhigh du prépuce interne (entouré de pointillés) ; (3) le CGRP pourrait inhiber l'infection par le HSV-1 en régulant à la baisse l'expression de surface de 3-OS HS et en supprimant la dépendance au pH ; (4) HSV-2 utilise la langerine pour pénétrer dans les LC, entraînant une internalisation et une fusion médiées par la clathrine/cavéoline d'une manière indépendante du pH ; (5) Le CGRP pourrait inhiber l'infection par HSV-2 en induisant la formation de doubles trimères atypiques de langerine de haut poids moléculaire.

Copyright ©: The Author(s), sous licence exclusive Society for Mucosal Immunology 2022

Bien que la prophylaxie pré-exposition (PrEP) existante soit efficace pour la prévention de la transmission du VIH-1, cette stratégie présente encore d'importants obstacles limitant son efficacité et son utilisation. De plus, bien que l'infection par le HSV puisse être traitée avec des agents antiviraux comme par exemple, l'acyclovir, aucun microbicide préventif à application locale contre le HSV n'est disponible. Pour la co-infection VIH-1/VHS, des approches de double protection sont en cours de développement, principalement basées sur la combinaison de molécules antivirales (ex : acyclovir + ténofovir) ciblant séparément le HSV et le VIH-1. Par conséquent, il reste nécessaire de développer de stratégies nouvelles et efficaces pour prévenir simultanément l'infection par le VIH-1 et le HSV. Dans ce contexte, les études de l'équipe renforcent la compréhension du rôle antiviral du CGRP et de son l'utilité potentielle comme prévention locale contre ces deux IST. Ainsi, les formulations à base de CGRP pourraient représenter une nouvelle stratégie préventive neuro-immune capable de cibler les LCs, première cible de ces deux IST pour inhiber la transmission du VIH-1 et du HSV.

En savoir plus

1) Mariotton J, Sams A, Cohen E, Sennepin A, Siracusano G, Sanvito F, Edvinsson L, Barry Delongchamps N, Zerbib M, Lopalco L, Bomsel M, Ganor Y. Native CGRP neuropeptide and its stable analogue SAX, but not CGRP peptide fragments, inhibit mucosal HIV-1 transmission. Front Immunol. 2021. 12:785072

2) Cohen E, Mariotton J, Rozenberg F, Sams A, van Kuppevelt TH, Barry Delongchamps N, Zerbib M, Bomsel M, Ganor Y. CGRP inhibits human Langerhans cells infection with HSV by differentially modulating specific HSV-1 and HSV-2 entry mechanisms. Mucosal immunol. 2022. doi: 10.1038/s41385-022-00521-y.

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Yonatan Ganor

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